Notions de biocompatibilité

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Notions de biocompatibilité

Introduction

Le préfixe bio- est omniprésent de nos jours, des yaourts que nous consommons au carburant des automobiles. Cette mode provient d’une absence de définition de chacun des néologismes. Ce n’est pas le cas de la biocompatibilité qui a fait l’objet d’une conférence de consensus et dont l’évaluation suit une norme ISO.

Pendant des années, biocompatibilité a été synonyme d’inertie, c’est-à-dire qu’un matériau ne posant aucun problème biologique était considéré comme biocompatible. En fait, la biocompatibilité est différente de la tolérance à un matériau car elle suppose une réponse appropriée de l’hôte. Par exemple, un alliage précieux est biocompatible s’il est utilisé pour réaliser une coiffe, mais non biocompatible s’il sert à faire un implant car il ne sera pas ostéointégré. La biocompatibilité englobe toutes les réponses de l’organisme à la mise en place d’un biomatériau, elle ne peut donc pas être évaluée par un test unique, qui ne permet au mieux que l’évaluation d’une seule de ses facettes. La biocompatibilité doit être évaluée par une série de tests donnés par la norme ISO. Celle-ci étant valable pour tous les dispositifs médicaux, quel que soit le domaine d’application médicale, elle ne donne que des directives générales. Il y est donc spécifié que le protocole, la réalisation et l’interprétation des résultats doivent être confiés à des spécialistes.

1  –  Définitions

1 . 1  –  Définition d’un dispositif médical

Tout instrument, appareil, matériau ou autre article (tel qu’un logiciel), utilisé seul ou en association, destiné à être utilisé exclusivement ou principalement chez l’homme à des fins : 

  • de diagnostic, prévention, contrôle, traitement ou atténuation d’une blessure ou d’un handicap 
  • d’étude, de remplacement ou de modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique,
  • de contrôle de la contraception. 

L’action principale n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques, chimiques, immunologiques, métaboliques, mais peut être assistée par de tels moyens.  

Un médicament, par définition, n’est pas un dispositif médical. Son évaluation sera donc différente de celle d’un dispositif médical. Les dispositifs médicaux incluent les dispositifs dentaires dont l’évaluation se plie donc aux règles générales applicables aux dispositifs médicaux. Par exemple : une seringue à anesthésie est un dispositif médical mais le contenu de la carpule d’anesthésique est un médicament.

1 . 2  –  Définition d’un Biomatériau

Un  biomatériau est un matériau non vivant utilisé dans un dispositif médical, à des fins thérapeutiques ou non, et appelé à interagir avec les systèmes biologiques.  

Selon cette définition, une greffe n’est donc pas un biomatériau. Par contre, une coiffe ou un lentille cornéenne en est un.

Les biomatériaux sont classés en classe I, IIa, IIb et III, en fonction de la durée et de la nature du contact ainsi que de l’origine chimique du biomatériau (e.g. métallique). En fonction de ce classement les biomatériaux n’auront pas à subir les mêmes tests : les biomatériaux dentaires sont classés IIa. Les biomatériaux dentaires devront donc subir obligatoirement les tests suivants : génotoxicité, cytotoxicité, sensibilisation et implantation.

Tableau 1 : Classification des Biomatériaux
Classe I dispositifs médicaux non invasifs ou invasifs mais à usage temporaire 
Classe IIa   dispositifs médicaux invasifs à court terme et ceux à long terme de la sphère oro-pharyngée
Classe IIb   dispositifs médicaux invasifs à long terme autres que la sphère oro-pharyngée
Classe III   dispositifs médicaux invasifs à long terme en contact avec le cœur, système circulatoire et nerveux

1 . 3  –  Définition de la Biocompatibilité

La biocompatibilité est la capacité d’un biomatériau à remplir une fonction spécifique avec une réponse appropriée de l’hôte. 

La biocompatibilité a longtemps été synonyme d’inertie du matériau, c’est-à-dire liée à l’absence de réponse de l’hôte et à l’absence de dégradation par l’hôte. 
L’or, par exemple, peut être défini comme un matériau biocompatible ou pas en fonction du but dans lequel il est employé : il est considéré comme biocompatible s’il est utilisé pour une restauration coronaire mais ne l’est pas s’il est employé comme implant orthopédique car il n’induit pas, comme le titane, d’ostéointégration.

2  –  Les tests réalisés

2 . 1  –  Chronologie

Il existe une chronologie des tests réalisés 

  • essais primaires
    • essais de génotoxicité (in vitro) (obligatoire en odontologie)
    • essais de cancérogénicité et reproduction (in vivo
    • essais d’hémolyse (in vitro
    • essais de toxicité systémique (in vivo
    • essais de cytotoxicité (in vitro) (obligatoire en odontologie)
  • essais secondaires
    • essais d’irritation muqueuse (in vivo)
    • essais d’irritation cutanée (in vivo)
    • essais de sensibilisation (in vivo) (obligatoire en odontologie)
    • essais d’implantation (in vivo) (obligatoire en odontologie)
  • essais d’utilisation chez l’animal, dans les conditions normales d’utilisation du biomatériau (exemple : réalisation de cavités de classe V chez le singe afin d’évaluer la réaction pulpo-dentinaire à la mise en place d’un composite).
  • essais cliniques chez l’homme

2 . 2  –  Corrélation tests primaires – tests secondaires

Du point de vue éthique, une bonne corrélation entre les tests primaires et secondaire est souhaitable. Elle permet de diminuer le nombre d’animaux sacrifiés car seuls les produits ayant passé avec succès les tests primaires sont soumis aux tests secondaires. Elle permet aussi d’éviter les faux positif et les faux négatifs.

Du point de vue financier, une bonne corrélation est aussi souhaitable car les tests secondaires sont longs et onéreux et doivent être réservés aux biomatériaux prometteurs.

2 . 3  –  Avantages et inconvénients des tests in vitro et des tests in vivo

2.3.1. Les tests in vitro  

  • avantages
    • plus rapides que les tests in vivo.
    • moins onéreux.
    • reproductibles.
    • les tests in vitro permettent d’évaluer séparément les effets biologiques de chacun des composants du matériau. 
  • inconvénients
    • ils n’ont que peu de rapport avec la clinique.
    • ils sont trop sensibles 

2.3.2. Les tests in vivo 

  • avantages
    • ils sont beaucoup plus proches de la clinique 
    • ils permettent d’évaluer les effets d’un matériau sur des organes loin de l’organe cible.
    • ils permettent d’évaluer la toxicité des métabolites. Un matériau peut en effet se révéler biocompatible alors que ses produits de dégradation, une fois métabolisés par l’organisme se révèlent être dangereux.
    • l’interprétation des résultats est parfois plus facile car le rapport avec la clinique est souvent plus évident.
  • inconvénients
    • les tests réalisés sur des animaux de laboratoire (deux espèces de mammifères) peuvent ne pas avoir de rapport avec l’espèce humaine
    • l’effet néfaste peut passer inaperçu s’il est non recherché donc non évalué 
    • timing incorrect de l’essai (l’effet délétère se manifeste après les périodes d’observation) l’évaluation et l’interprétation des résultats peut être difficile 
    • il peut être difficile de simuler la pathologie préexistante (carie, lésion parodontale).

3  –  La norme ISO 10-993

La norme ISO concernant l’évaluation biologique des dispositifs médicaux est la norme 10-993 qui annule et remplace les anciennes normes nationales de biocompatibilités (AFNOR, BSI, DIN). Son but avoué est la protection des êtres humains et celle des animaux.

4  –  Les tests primaires

4 . 1  –  Les tests de génotoxicité

Ils évaluent les effets des dispositifs médicaux et de leurs produits de dégradation sur les mutations géniques, les changements de structure chromosomique ou toute autre modification des gènes et de l’ADN. Le plus connu est le test de Ames. Des mutants de Salmonella Typhimurium, très sensibles aux mutations géniques, ne savent pas synthétiser l’histidine. Si cette souche subit une mutation, celle ci, tôt ou tard devient capable de synthétiser de l’histidine et ainsi peut de se développer sur un milieu sans histidine. On observe alors des formations à la surface dont le nombre est proportionnel à l’effet génotoxique (Figure 1). Parmi les matériaux dentaires, certains adhésifs dentinaires contenant de la glutaraldéhyde sont soupçonnés d’être mutagènes, de même que les pâtes d’obturation canalaire contenant de la formaldéhyde.

Figure 1 : Boîte de culture montrant des colonies de Salmonella Thyphimurium ayant muté après la mise en contact avec un matériau mutagène.
Cette mutation leur a permis de se développer malgré l’absence d’histidine dans la boîte.

4 . 2  –  Test de cytotoxicité

Le matériau est mis en contact avec les cellules cibles puis leur viabilité est évaluée. 
Il faut se poser trois questions pour juger de la validité du test de cytotoxicité :

  • quelles cellules cibles choisir ?
  • quel critère choisir pour évaluer la viabilité cellulaire ?
  • le mode de mise en présence des cellules et du matériau est-il judicieux ?

4.2.1. Les cellules cibles  

Deux grandes possibilités existent : 

  • les lignées cellulaires établies qui n’ont rien à voir avec les cellules cibles rencontrées en clinique. Par contre elles sont faciles à cultiver et sont disponibles partout dans le monde. Les plus connues sont les fibroblastes cancéreux de poumon de souris L 929.
  • les cellules de culture primaire qui ont l’avantage d’être plus proches de la cellule cible : fibroblastes pulpaires, gingivaux ou desmodontaux. Ces cellules présentent comme inconvénient d’avoir une durée de vie limitée car elles se dédifférencient après quelques multiplications (Figure 2).
Figures 2 : Exemples de chaque type de cellules pour les tests de cytotoxicité. À gauche une lignée cellulaire établie (L 929) et à droite une culture primaire (fibroblastes pulpaires)

4.2.2.      Les critères d’évaluation de la cytotoxicité

  Là aussi, deux possibilités existent : 

  • Test de toxicité basale, valable sur toutes les cellules. Il répond à la question : la cellule est elle vivante ou non (Exemple : bleu trypan), ou mieux : la cellule est vivante mais ses fonctions cellulaires sont elles intactes ? (Exemple : étude de la fonction mitochondriale par le test du MTT, Figure 3).
  • Test de toxicité spécifique valable sur les cultures primaires. Il répond à la question : la cellule remplit-elle la fonction pour laquelle elle existe (Exemple : l’odontoblaste continue-t’il à sécréter prédentine malgré la présence du biomatériau ?).

 

Figure 3 : Fibroblastes pulpaires après un test au MTT.
On peut voir des cristaux de formazan à l’intérieur des cellules, montrant que la MTT a été métabolisé par des mitochondries fonctionnelles.

4.2.3.      Les différents tests 

  •  Les tests de contact direct

Le matériau est mis en place à l’aide d’une colle biologique au fond d’une boite de culture cellulaire. Des cellules en suspension dans du milieu de culture sont alors ensemencées dans la boite. Les cellules cibles adhérent alors au fond de la boite et après un temps donné, la distance qui sépare les cellules du matériau est mesurée, les cellules venant au contact du matériau s’il est non toxique alors qu’elles en restent éloignées s’il libère des produits cytotoxiques (Figure 4).

Figure 4 : Fibroblastes pulpaires au contact d’un biomatériau lors d’un test de contact direct.
Il existe une zone d’inhibition entre les cellules et le biomatériau montrant une certaine cytotoxicité.
  • Surimposition de gélose (agarose)

Les cellules sont ensemencées au fond d’une boîte de culture. Le milieu de culture est remplacé par de l’agarose. Après gélification de l’agarose sur les cellules, le matériau à tester est disposé à la surface de la gélose durcie et le tout est remis à l’étuve pendant 24 h. Les produits cytotoxiques libérés par le matériau diffusent à travers l’agarose pour atteindre les cellules cibles (Figure 5).

Figure 5 : Zones d’inhibitions décolorées lors d’un test de surimposition d’agarose évaluant la cytotoxicité de certains ciments de scellement canalaires
  •  Interposition de dentine naturelle

Une tranche de dentine coupée avec une scie diamantée est interposée entre les cellules cibles et le matériau à tester. Le matériau est mis en place sur la dentine en suivant les recommandations du fabricant.

5  –  Les tests secondaires

5 . 1  –  Essai de sensibilisation

Le test de référence est le Guinea Pig Maximization Test (GPMT) réalisé sur des cochons d’inde. Les animaux sont mis 2 fois en contact avec le biomatériau à 15 jours d’intervalle. La peau est observée à 24, 48 et 72 heures et la réaction cutanée évaluée selon un tableau permettant de la classer en 5 grades. L’animal n’est pas sacrifié et il n’y a aucune évaluation histologique des résultats.

5 . 2  –  Essai d’implantation

Après implantation intraosseuse du matériau dans la mandibule ou le fémur de lapin, les animaux sont sacrifiés à 1 mois (court terme) ou 3 mois (long terme). Après préparation histologiques les résultats sont analysés selon les critères de la norme ISO 10-993 suivants :

– présence de cellules de l’inflammation
– interposition fibreuse
– dégénérescence de la moelle osseuse
– nécrose osseuse
– présence de débris
 – granulome

Ceci permet de classer les réactions en : absente , légère, modérée et sévère (Figure 6).

Figure 6 : Exemples de réaction absente (a), légère (b), modérée (c) et sévère (d) après implantation intraaosseuse chez le lapin.
On peut noter respectivement : le remplacement total du biomatériau par de l’os néoformé (*), l’apposition osseuse au contact de quelques restes du biomatériau (*), la persistance du biomatériau au contact d’un tissu inflammatoire (*) et la désorganisation totale de tous les tissus en contact du biomatériau.

6  –  Les essais d’utilisation (de biofonctionnalité)

Lors des essais d’utilisation, les matériaux sont utilisés chez l’animal dans les conditions réelles de mise en place et de fonction. Ils ne sont pas obligatoires et restent sous la responsabilité du fabricant qui doit décider ou non de la nécessité de sacrifier des animaux de laboratoires. Il peut s’agir par exemple de tester un matériau de restauration coronaire en obturant des cavités de classe V chez le singe, ou bien de tester un matériau endodontique en faisant un traitement canalaire complet chez le singe ou le chien.

Ces essais sont peu nombreux car ils sont onéreux, et difficiles à justifier quand un fabricant propose un nouveau matériau qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un matériau déjà existant.

7  –  Les essais cliniques

Ils sont réalisés chez l’homme après avis du comité départemental d’éthique. Ils sont initiés par un « promoteur », réalisés en clinique par un « investigateur » et les résultats sont vérifiés par un « moniteur » indépendant.

Conclusion

L’évaluation de la biocompatibilité ne peut être faite qu’à partir d’un ensemble de tests. Ces derniers doivent être réalisés mais surtout interprétés par des spécialistes en fonction de la future utilisation clinique du biomatériau. Cela permet d’éviter de rejeter des biomatériaux utilisés avec succès depuis longtemps et qui ne passeraient pas les tests imposés aujourd’hui aux matériaux modernes, comme par exemple le mélange oxyde de zinc-eugénol.

Contenu

  • introduction
  • 3 – La norme ISO 10-993
  • 6 – Les essais d’utilisation (de biofonctionnalité)
  • 7 – Les essais cliniques

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